La vie quotidienne

« Tu t’adaptes peu à peu jusqu’à ce que ta vie n’ait plus rien à voir avec ce qu’elle était avant. Tout a tellement changé... » –Teva

Malgré les difficultés qui surgissent chaque jour, on trouve le moyen de s’adapter et de continuer à avancer. Comment trouver la plénitude dans la routine du quotidien? Comment se fixer des objectifs et définir le succès? Comment s’adapter aux changements qui affectent les finances, les études, le travail?

La vie de tous les jours, ce n’est pas évident.

J’étais déjà un peu en période d’adaptation avant le cancer, parce que mon dos me limite beaucoup. Des fois, la chimio m’aide. D’autres fois, elle me nuit. Ça dépend de la réaction de mon corps et des médicaments que je prends pour la douleur. Je me fatigue très vite à cause de la chimio, alors je ne peux pas jouer avec les enfants ou m’occuper de la maisonnée très longtemps. Des fois, j’ai juste envie d’aller me coucher. En même temps, j’ai aussi envie de regarder un film tard le soir avec mon mari ou d’aller au parc avec les enfants. C’est très limitant, il faut que je dose mon énergie toute la journée.

Tu t’adaptes peu à peu jusqu’à ce que ta vie n’ait plus rien à voir avec ce qu’elle était avant.

Ça me trotte beaucoup dans la tête, à quel point ma vie a changé. Avant, j’étais rarement chez nous. J’allais au bureau et je passais ma journée à travailler. C’était la structure de mes journées. Tout a tellement changé...

Je n’aurais jamais pensé que j’en saurais autant sur les hôpitaux et leur fonctionnement un jour.

Les hôpitaux, c’est comme dans le roman Les villes invisibles, d’Italo Calvino, plein de cercles concentriques qui se chevauchent, qui occupent le même espace, mais à des moments différents. C’est comme ça que je les vois, comme des villes qui m’étaient auparavant « invisibles ». Il y a plusieurs villes dans chaque hôpital, chacune a ses propres spécialistes et salles d’attente, et les couloirs sont comme des routes qui les relient entre elles. Tout ça m’était étranger, les machines, les alertes sonores, puis tu t’habitues tranquillement, ça devient normal, ton nouvel état normal.

Le cancer mène ta vie.

Tu as une armada de médecins qui te suivent, plein de médicaments à prendre. La douleur est toujours là et, d’une certaine façon, c’est comme une maladie chronique. Ce n’est pas comme un rhume qui finit par disparaître. Il n’y a pas ce soulagement. Tous les matins, la douleur m’attend au réveil. Je la sens dans mes côtes, mais aussi dans ma poitrine. Mes journées sont ponctuées par des spasmes de douleurs, des fois c’est difficile de sortir de la maison. Quand je fais de la chimio, je suis épuisée. Je m’effondre souvent de fatigue après le souper, et mon mari s’occupe de coucher les enfants. C’est notre nouvel état normal.

J’essaie d’être réaliste et de choisir des buts à court terme.

Les gens qui ne sont pas malades ont souvent un plan de cinq ou dix ans, même si rien ne dit qu’ils vont se rendre jusque-là. Bien sûr, leurs chances sont meilleures que les miennes, parce qu’il y a moins de complications potentielles. Moi, j’aimerais être encore là dans cinq ans et je m’amuse à dire à mes amis que quand on sera vieux, on adoptera des chats et on emménagera tous ensemble dans la même maison pour déconner entre nous. Mon mari et moi, on vient de célébrer notre dixième anniversaire de mariage, c’est un but que je voulais vraiment atteindre.

On planifie des choses à court terme, comme aller à un festival de science-fiction qui aura lieu dans quelques mois ou se préparer pour Noël.

Cette semaine, par exemple, je m’étais donné comme objectif de nettoyer une partie de la maison. Des fois j’atteins mes buts et d’autres fois non. Dans ce temps-là, il faut être indulgent avec soi-même et se dire qu’au moins, on a essayé. Des fois, mon exploit de la journée est d’avoir réussi à finir la vaisselle ou à passer le balai.

Quand je suis tombée malade, je me suis dit : « Je ne pourrai jamais voir une girafe dans la savane.

» Mon mari a dit : « On part en Afrique! » On s’est pris un safari et on en a profité pour visiter des amis en Afrique du Sud. On a vu Johannesburg, Le Cap et tous ces sites extraordinaires. Mon mari m’a ensuite demandé mes trois destinations de rêve, et on les a toutes faites, y compris le Machu Picchu et Angkor Vat. On travaille à planifier notre prochain voyage. J’ai dit à mon mari de choisir la prochaine destination, parce que ça fait trop longtemps que tout tourne autour de moi. Alors notre prochain voyage sera en Europe de l’Est. On commencera par Berlin, puis on ira à Vienne, Prague et peut-être Bratislava.

Étant de jeunes adultes, on aime bien sortir, mais on est souvent fauchés, alors j’ai fait une collecte de fonds pour nous permettre (à mon groupe de soutien) d’aller à une soirée karaoké en autobus. C’est le genre de choses que je peux encore faire, et ça me fait vraiment plaisir.

J’ai entendu parler assez tôt des bienfaits des soins palliatifs,

notamment sur le plan de la qualité de vie et du soulagement de la douleur, deux choses extrêmement importantes. Je reçois des soins palliatifs depuis la première année. Je travaille avec l’équipe à gérer ma douleur et les effets secondaires de la médication, ce qui m’aide énormément.

Grâce aux soins palliatifs, mes amis et ma famille n’ont pas à assurer eux-mêmes ma qualité de vie.

Je pense qu’il est important de bien expliquer ce que sont les soins palliatifs. Beaucoup de gens les associent automatiquement à la fin de vie, mais c’est beaucoup plus que ça.

Même dans un cancer de stade IV où la personne arrive à fonctionner et se porte bien, les soins palliatifs peuvent faire beaucoup de bien.

Les préjugés sont tenaces, non seulement chez les patients, mais aussi chez les médecins. J’ai entendu dire que des patients qui avaient demandé des soins palliatifs s’étaient fait répondre : « Vous n’êtes quand même pas à l’article de la mort! » Ce n’est pas parce que le terme est mal compris que le besoin n’existe pas.

J’ai décidé de rester chez moi le plus longtemps possible.

L’infirmière qui prend soin de moi à domicile dit que la fin approche. Elle essaie d’appeler l’ambulance contre mon gré pour me faire hospitaliser. Je me dis que si vraiment la fin approche, j’irai dans une maison de soins palliatifs, mais je connais assez bien mon corps pour penser que je peux attendre encore. Ici, j’ai mon lit, mon chat, mes livres et mon piano, et mes amis peuvent passer quand ils veulent. Mais j’ai aussi peur de rester ici pendant que mon corps dépérit, et que ce soit un de mes proches qui découvre mon cadavre. Par contre, comme ils connaissent tous mon aversion pour l’hôpital et les autres établissements du genre, je me dis que je prends la bonne décision pour tout le monde, pourvu qu’ils soient conscients de cette possibilité et pas trop terrorisés.

Je suis tellement une personnalité de « type A » que j’ai attendu d’être trop malade pour étudier ou travailler avant d’arrêter.

Je suppose que mon corps a décidé pour moi. L’année d’avant, je travaillais dans une agence de personnel temporaire, et mon patron n’était pas très compréhensif. Je prenais beaucoup de congés de maladie parce que je vomissais souvent et qu’il y avait du sang dans mon urine, mais les médecins me renvoyaient chez moi avec des antibiotiques. Mon patron m’a montré la porte en me disant que même si je me faisais couper les deux bras et les deux jambes, ce ne serait pas une raison pour manquer une journée de travail. Je regrette de ne pas avoir protesté, mais j’étais trop malade pour faire quoi que ce soit. Quand j’ai finalement reçu mon diagnostic, et dès que les médecins ont vu que c’était sérieux, j’ai arrêté de travailler. Dans ce temps-là, je faisais des sondages et des études de marché pour un centre d’appels.  Je ne m’attendais pas à ce que mon employeur soit aussi conciliant. J’étudiais aussi à l’université et, là aussi, les gens ont été très conciliants, même s’ils ne comprenaient pas trop ma décision. Personne ne savait encore ce que j’avais, mais ça faisait du bien qu’on me laisse me concentrer sur mes problèmes de santé sans me faire sentir coupable. C’est le genre de choses qu’on n’oublie pas.

Après avoir reçu mon diagnostic de cancer du cerveau, même si j’étais devenu fasciné par l’histoire du cancer et l’oncologie, et que j’avais dévoré The Emperor of All Maladies de Siddhartha Mukherjee, j’avais hâte de reprendre ma vie.

J’ai essayé de poursuivre mes études, mais ça ne m’intéressait plus et je n’étais plus heureux. Mon couple s’est brisé, j’ai commencé à m’isoler. J’ai fini par rentrer à la maison et faire le point sur ma vie. Au printemps 2013, le cancer m’avait déjà convaincu de me concentrer sur ce qui me passionnait depuis toujours, alors j’ai demandé l’admission en théâtre à l’université. Une année difficile m’attendait. Ma grand-mère est morte du cancer en juillet. J’ai recommencé l’école en septembre, mais au début du mois d’octobre, j’ai appris que ma propre tumeur grossissait. J’ai subi ma deuxième opération au cerveau en novembre 2013. Je ne ressentais plus l’espèce de curiosité et d’intérêt qui accompagne une nouvelle expérience. La mort de ma grand-mère m’avait traumatisé et vidé. Une semaine après mon opération, j’ai fait un AVC partiel, une complication qui a causé une aphasie amnésique permanente, un sérieux problème pour un aspirant comédien. Après des traitements intensifs de radiothérapie en 2014, j’ai repris mes études, mais l’aphasie, le brouillard cérébral et les effets de la radiothérapie m’en ont vraiment fait baver.

Avant mon diagnostic, j’étais directrice du marketing chez Conservation de la nature Canada.

Ma carte de la ville a changé. Les lieux que je fréquentais et ceux que je fréquente maintenant n’appartiennent pas au même monde, même s’ils cohabitent dans l’espace. Par exemple, je descends encore à Queen’s Park, mais maintenant, c’est pour me rendre à l’hôpital, et non plus pour assister à la période de questions au Parlement.

Dix ans après mon diagnostic initial, j’en bave encore, mais pas de la même façon.

J’ai toujours été un grand lecteur. Dans ma vingtaine, je lisais deux livres par semaine en moyenne, mais là j’arrive à peine à en finir un par deux semaines. Je n’ai plus la même capacité d’attention et de concentration, et, par bout, à cause du cancer et des traitements, mon cerveau ne reconnaît plus le langage écrit. La perte de ce plaisir qui m’a toujours aidé à me recentrer affecte mon identité personnelle. Je suis inquiet pour l’avenir, mon travail et ma carrière.

Mon mari a un bon emploi et je reçois des prestations d’invalidité à long terme.

Une chance! Notre situation financière a quand même beaucoup changé depuis mon diagnostic. J’ai su que j’avais le cancer 18 mois après avoir obtenu mon troisième diplôme universitaire. On a su que mon cancer était terminal neuf jours avant notre mariage, et dix mois après avoir acheté notre première maison. On n’a pas d’économies. Je ne sais pas comment on a fait pour ne pas tout perdre. Je ne sais toujours pas comment on fait pour ne pas couler. À des dizaines de milliers de dollars en prêts étudiants s’est ajouté le coût d’un mariage de 160 personnes qui était déjà planifié. Souvent, dans un couple, il y a quelqu’un qui s’occupe du budget, des finances et des factures, et qui peut vous dire le montant de la dernière facture d’hydro. Cette personne, c’est moi. Si on a réussi à garder la maison, c’est parce que je sais exactement où va chaque sou. J’ai toujours bien géré mes finances, mais pas à ce point-là. Maintenant, je compare les prix, j’utilise des coupons, je surveille le budget. Je suis inscrite à des groupes de chasseurs de rabais en ligne. Je contrôle toutes nos dépenses. Mon mari me remet un reçu pour chaque chose, et je pense que ça lui vaut des moqueries. Des fois, les gens rient de moi aussi parce que je cherche toujours le meilleur prix. Mais on n’a pas le choix. On est quand même chanceux d’avoir un salaire et demi. Je ne sais pas ce que font les célibataires. Si mon mari n’était pas là, ou s’il ne faisait pas un bon salaire, je crois qu’il aurait fallu retourner chez mes parents. Il y a aussi une autre pression insidieuse. Si tu apprends que tes jours sont comptés, qu’est-ce que tu fais avec le temps qui reste? Disons que dans mon cas, c’est un an. Il y a toujours cette question dans l’air : « Qu’est-ce que tu ferais s’il te restait un an à vivre? » « Oh, je voyagerais tout plein! » Ah oui? Avec quel argent? Tu veux passer à travers ta « bucket list », voir tous les concerts qui t’intéressent, voyager, mais les contraintes financières sont insurmontables. Surtout quand tu es jeune et que tu n’as pas d’économies. Tu ne peux pas faire tout ce que tu veux. On essaie de prendre ça en ligne de compte, mais c’est de plus en plus difficile. J’aimerais dire que l’argent ne crée pas de tensions entre nous, mais je pense que c’est une question sensible pour tous les couples, même quand personne n’a le cancer. Je travaille si fort à contrôler le budget et tout le reste que le stress retombe en bonne partie sur moi. Je ne sais pas comment mon mari va se débrouiller avec tout ça quand je ne serai plus là. Présentement, il sait que je sais exactement à quoi sert chaque dollar et que je peux lui dire : « OK, il nous reste tant à dépenser d’ici ta prochaine paye. » Ça lui passe par-dessus la tête, alors ce n’est pas tant notre couple qui en souffre que moi.

Conseils des fournisseurs de soins de santé

Redéfinir son identité

Prenez un instant pour réfléchir à la façon dont vous vous définissez. Êtes-vous un étudiant exemplaire? Une mère? Une avocate? Un farceur? Un rebelle? Les traitements et les pertes d’autonomie peuvent mettre cette définition à rude épreuve. C’est le moment ou jamais de faire preuve d’imagination. Comment maintenir votre identité malgré la maladie? Par exemple, l’étudiant peut se faire enseignant et expliquer aux autres ce qu’il vit. Au lieu d’être celle qui fait rouler la maisonnée, la mère peut se voir comme une oreille attentive et une source de réconfort. L’avocate peut trouver une façon de travailler à temps partiel, le farceur peut jouer des tours aux infirmières, le rebelle peut se faire faire un tatouage qui évoque son expérience. Le fait de redéfinir de votre identité personnelle et d’en explorer d’autres aspects peut vous aider à composer avec les bouleversements qui accompagnent inévitablement la progression de la maladie. Votre identité comporte plusieurs facettes dont l’importance relative subira inévitablement des changements. C’est peut-être l’occasion de découvrir de nouvelles passions inspirantes qui vous aideront à vous redéfinir. Certaines personnes se créent des listes de choses à faire avant de mourir, les fameuses « bucket lists ». Le contenu de la liste peut changer au fil du temps et de l’évolution de la maladie. Il se peut que vous ayez à l’adapter à votre état de santé. Ratissez large, faites preuve de flexibilité et incluez vos proches dans l’exercice. Cette liste n’est pas nécessairement coulée dans le béton : vous pouvez faire des ajouts ou enlever des choses au fil du temps.

Spiritualité et religion

Certains adolescents et jeunes adultes atteints du cancer s’appuient sur leurs croyances religieuses et spirituelles pour traverser l’épreuve du diagnostic et les traitements. Chez d’autres, au contraire, le cancer provoque une remise en question des croyances, amenée par des questions comme « Pourquoi ça m’arrive? » et « Qu’est-ce que j’ai fait? D’autres interrogations, liées à la vie après la mort, sont plus courantes en fin de vie. De même, les croyances religieuses et spirituelles peuvent avoir un effet apaisant ou aliénant sur la famille et les amis confrontés à votre maladie. Les divergences d’opinions peuvent créer des tensions. Si, par exemple, vous remettez en question vos propres croyances religieuses et l’existence d’une vie après la mort, mais que votre conjoint(e) ou un parent tire du réconfort de la prière ou d’un accompagnement spirituel plus étroit, des tensions peuvent surgir. Une discussion franche et honnête avec vos proches sur les petites et grandes questions que vous vous posez peut soulager la détresse et désamorcer les conflits. De plus, le fait de laisser les autres parler et poser des questions sans juger leurs croyances ni les balayer du revers de la main peut vous aider à accepter leur soutien.